Prochaine parution du Journal : Numéros 5

La date de la prochaine parution du journal n'est pas encore définie! Elle vous sera communiquée aussi rapidement que possible (D'ici 1 à 2 semaines). Bonne lecture... La Rédac'

lundi 20 février 2012

La triste douleur des grandes catastrophes

Monsieur Alphonse Bohr est un homme discret. On pourrait même dire que monsieur Alphonse Bohr est un homme effacé si l’on ne tenait compte que de son comportement vis-à-vis d’autrui. Mais si au contact d’une personne inconnue, monsieur Alphonse Bohr se comporte en
Bernard l’Hermite du relationnel c’est simplement qu’il ne se sent pas le droit d’imposer sa présence de misérable vers de terre à un personnage qu’il sait infiniment plus intelligent que lui. Bref si Monsieur Bohr est si transparent dans les dîners mondains (qu’il ne fréquente d’ailleurs pas) c’est qu’il juge les êtres humains à son image, profondément francs et honnêtes, d’une humilité qui ferait crever de honte un lama tibétain.
De ce fait monsieur Alphonse Bohr n’a jamais vraiment brillé. Il n’en a d’ailleurs jamais eu le désir, tant lui semblait imméritée la plus misérable parcelle sous les projecteurs. Néanmoins ces derniers temps monsieur Alphonse Bohr s’est pris à rêver.
Dans le domaine, assez restreint il est vrai, de la psychanalyse freudienne appliqué à la cosmologie de l’endive braisée, il passe, malgré tout ses efforts de dénégation, pour un spécialiste de l’influence de l’endive lacanienne sur la philosophie de Nietzsche. Monsieur Alphonse Bohr a en effet démontré dans un ouvrage intitulé Le subconscient freudien comme une endive dans le sable, la prépondérance de la chicorée dans l’œuvre du théoricien de la mort de Dieu. Notamment dans Ainsi parlait Zarathoustra où dans la quatrième et dernière partie, dans le paragraphe de la cène, le prophète distribue des endives en lieu et place de la viande et du pain, ce qui permet de sublimer le discours sur l’homme supérieur.
Or il advint qu’un journaliste se retrouva avec le livre en question dans les mains. Agréablement surpris par la pertinence de l’étude et la subtilité du propos, il contacta l’auteur. 
« Monsieur Bohr ?
    - C’est moi, répondit son interlocuteur qui n’avais pas les moyens de prouver le contraire.
    - Bonjour, je suis Ernest de Sitter, producteur de l’émission La radio du fait mûr (émission de débat sur l’actualité rétrospective), j’ai lu votre travail et je l’ai trouvé réellement passionnant. Il se trouve qu’un de mes invités de la semaine prochaine s’est décommandé. Apparemment il aurait été attaqué par une Courbette Irrévérencieuse (Note ci-dessous).
    - Je ne suis pas sûr que les gens soient vraiment intéressés par mon travail, répondit timidement Alphonse Bohr incertain d’être dans le doute.
    - Mais si je vous assure. Je reconnais que ce domaine de la science agro-psychanalytique n’est pas vraiment connu du grand public mais vous êtes justement là pour le lui faire découvrir, fayotta le bredouilleur radiophonique. »
Finalement, Alphonse Bohr se laissa convaincre et rendez-vous fut pris pour la semaine suivante, le jeudi. Dans l’intervalle Alphonse sentit monter en lui une frémissante impatience, un sentiment inconnu, une sensation de grandeur, relative certes mais grandeur quand même. Lui qui, toujours dans l’ombre, avait concouru à la reconnaissance de nombres de ses relations vite oublieuses, allait pour une fois se trouver sur le devant de la scène. Son travail, vingt ans de labeur minutieux et ininterrompu, était reconnu. De plus, cet intérêt, bien qu’aussi soudain qu’imprévisible, lui semblait mérité, il n’était du à aucune flagornerie, aucune bassesse, aucun compromis. Le travail seul.
L’émission, prévue à 14h, était diffusée en direct. C’est pourquoi à midi après une rapide collation, Alphonse prépara à partir afin de ne pas laisser le moindre grain de sable gripper la délicate et mystérieuse horlogerie de la vie. La main sur la poigné de la porte, répétant mentalement le contenu de son intervention, il se dirigeait vers son destin quand le téléphone sonna. C’était monsieur de Sitter qui lui annonçait que l’émission avait été déprogrammée. Un tremblement de terre meurtrier avait eu lieu dans un pays pauvre mais touristique. Un programme spécial était consacré au drame sur son antenne, et ce pour la semaine entière. Monsieur de Sitter s’excusa poliment et raccrocha.




Note: La Courbette Irrévérencieuse (n.l : Reverencia Vulgaris) est un petit oiseau d’Europe du Sud qui, lorsqu’il est attaqué, présente son séant à son agresseur. C’est cet animal qui inspira à Armand de Maupertuis sa fameuse tirade « ne sachant m’avouer vaincu/ ni plier sous la déférence/ si je me courbe en révérence/ c’est pour mieux vous montrer mon … »


Réalisé par Jean B.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire